Le courage des autres by Hugo Boris

Le courage des autres by Hugo Boris

Auteur:Hugo Boris [Boris, Hugo]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Grasset
Publié: 2019-11-21T09:43:13+00:00


1. Voir à ce sujet le documentaire d’Anne Brunswic et Xavier Villetard, Comment nous avons construit le métro de Moscou.

Ligne 13, La Fourche. Annonce du conducteur d’une voix traînante et désabusée :

— Je rappelle que le train est en direction de Saint-Denis.

Poc, poc. Il a parlé trop près du micro. Il s’écarte un peu et ajoute :

— Il desservira les gares de Ouarzazate et de Sydney.

Trafic perturbé sur la ligne B du RER, la rame est bondée. Pour avoir une chance de monter, il faut tourner le dos, s’avancer à reculons, s’appuyer de la main sur le panneau au-dessus de la porte, et creuser doucement sa place dans la masse compacte des passagers. Il fait une chaleur de bête. Les gens râlent en s’éventant de la main. Dans mon carré, ma voisine s’énerve, s’excite sur la fenêtre avant de comprendre qu’elle est scellée. Elle se rassoit, peste, prend à témoin les autres passagers de cette aberration.

— C’est une honte, vraiment !

Les gens debout lui font poliment remarquer qu’elle est assise, elle, au moins. En face de moi, une femme de quatre-vingts ans écoute sa grogne sans rien dire. Ma voisine de droite ne désarme pas, en prend à partie une autre, debout dans le couloir central :

— Prenez ma place ! Venez vous asseoir, vous verrez s’il fait moins chaud !

C’est plus fort qu’elle, elle a besoin de s’agiter. En face, la vieille femme sourit faiblement depuis tout à l’heure. L’apercevant, ma voisine se tourne vers elle tout à trac en désignant son chemisier à manches longues.

— Et vous, comment vous faites ? Vous n’avez pas chaud ?

La vieille tressaille légèrement, comme si elle espérait et redoutait cette sollicitation. Son visage prend une expression de douceur navrée. Elle déboutonne son poignet et retrousse sa manche pour faire apparaître un numéro de matricule bleu pâle tatoué sur son avant-bras. Silence horrifié dans le carré.

— J’ai passé dix-huit heures dans un wagon à bestiaux sans air, sans eau, avec un bébé de six mois, alors aujourd’hui je n’ai plus chaud.

Elle nous attendait au tournant depuis tout à l’heure. Nous restons stupides. Ma voisine de droite ne sait plus où se mettre. Un sourire de bonté désolée éclaire le visage de la vieille dame, qui la rassure aussitôt :

— Mais c’est pas grave, c’est pas grave…

Elle passe le reste du trajet à consoler les passagers autour d’elle, comme un grand malade à l’hôpital qui s’efforcerait de remonter le moral de ses visiteurs.

— Mais c’est pas grave, vous ne pouviez pas savoir…



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